Il y a plusieurs mois j’ai réussi à piraté l’adresse steffi_stahl@hotmail.com qui se trouvait être dans le listing de Constantin Film comme vous le savez. Je n’avais aucune raison particulière de choisir cette victime, sinon que c’était un paris prometteur. J’ai ensuite utilisé cette adresse en écrivant entre les lignes qu’Emma Watson avait signé pour l’adaptation de Cinquante Nuances de Grey, en prenant soin de bien dissimuler l’information dans un email de courtoisie. Je n’avais aucun moyen de savoir si Constantin Film allait être victime d’une future attaque informatique. Lorsque Anonymous Germany les a piraté, ceux-ci ont d’abord publié le listing de Constantin Film. Il était essentiel d’en faire partit, puisque cela permettait qu’Anonymous prenne au sérieux l’information que j’avais glissé dans la quantité de courriers récupérés durant l’attaque informatique et qu’ils ont « découvert » la semaine suivante.
Cet après-midi commence le procès Clearstream. Jean Leymarie, pour France Info, m’a demandé d’expliciter les rapports entre la politique française et les affaires.
J’ai préparé une note sur cette question complexe, dont je fixe le début à… 1871 avec la naissance de la III° République et le refus des conservateurs d’accepter que la gauche puisse avoir la légitimité suffisante pour diriger le gouvernement.
Je vous communique la teneur de cette note. Pour qu nous puissions réfléchir ensemble.
Des rapports entre les affaires et la politique
L’examen attentif de l’histoire française récente nous apprend que les « Affaires » dominent très largement la vie politique française.
A l’origine : le refus des milieux légitimistes et conservateurs de reconnaître la légitimité de la gauche en France comme acteur naturel du pouvoir.
Dès l’instauration de la III° République en 1871, la droite a dénié à la gauche la capacité à exercer le pouvoir, et sa légitimité.
Durant toute la fin du 19° siècle grâce aux Affaires, les conservateurs ont tenté de renverser la République en démontrant que les hommes politiques de gauche n’étaient que des « pourris ».
Avec le scandale de Panama ils ont été à deux doigts de réussir
Avec l’affaire Dreyfus, le mouvement a pris de l’ampleur. L’affaire Dreyfus ne s’est fixée sur les questions juives que tardivement. A l’origine il s’agissait pour les milieux réactionnaires de l’armée de démontrer que la République n’était pas capable de gérer le pays.
La République a dû mettre en place des services de renseignement, les RG et la DST, pour surveiller ces milieux réactionnaires pour parer à toute nouvelle attaque.
La guerre de 1914-18 a mis un terme provisoirement à ce conflit politique.
Mais il a repris dès le début des années 1930 avec l’affaire de la « liste des 2000 comptes en Suisse » qui a entraîné comme réplique l’affaire Stavisky, le développement des milices privées, de l’extrême droite.
Dès cette époque deux conceptions de la politique s’affrontent :
– la gauche, qui tente de s’imposer par les programmes d’action
– la droite qui par le biais des affaires tente de délégitimer la gauche
L’affrontement a repris dès la fin de la guerre et le début de la guerre d’Indochine avec l’affaire des piastres, avec en arrière plan, de nouveau, cette idée que la gauche n’était constituée que d’affairistes.
L’instauration de la V° république a mis un terme pour un temps à cette guerre, la gauche étant décrédibilisée par son incapacité à résoudre la question des guerres coloniales que par l’abandon. Le régime présidentiel était censé mettre un terme à la prétention de la gauche à exercer le pouvoir.
Toutefois, le Général De Gaulle a commis une erreur dans sa nouvelle conception de l’Etat : la Constitution impliquait l’émergence d’un parti politique fort, potentiellement unique, dominé par les Gaullistes. Qui ne devait pas avoir à se battre pour assurer la pérennité de sa présence à la tête de l’Etat.
Par le jeu d’une confusion institutionnelle il y a eu adéquation entre le gouvernement et le parti en principe pluraliste qui le dominait. Et qui, de fait, est devenu propriétaire de l’Etat. Ce parti n’avait pas besoin d’un financement particulier puisque tous les outils du pouvoir était entre ses mains.
Aucun système de financement spécifique n’a donc été prévu. Cette lacune s’est révélée à terme lourde de conséquence : pour s’installer, grandir et espérer rivaliser avec le Rassemblement gaulliste, les adversaires politiques ont dû faire feu de tout bois, monter des combines plus ou moins complexes pour drainer des fonds.
La question du financement s’est posée pour la première fois avec la campagne « à l’américaine » de Jean Lecanuet contre le Général De Gaulle, une campagne conçue par Michel Bongrand.
Désormais la gauche a dû trouver des moyens, et ils n’ont pas été forcément les bons. La droite s’est emparée de ce système de combines pour recommencer son entreprise de décrédibilisation de la gauche. La droite, ou plus exactement les Gaullistes qui se prétendaient les héritiers naturels de l’Etat.
D’où la succession d’affaires qui ont visé cette fois VGE et son entourage, avions renifleurs, diamants de Bokassa. Les micros du Canard Enchaîné. Des affaires mises sur la place publique non pas par souci de « propreté politique », mais bien comme armes pour détruire l’adversaire.
Malgré tout, et sans immenses moyens par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui, la gauche a gagné en 1981. Cette victoire a marqué le début d’une « nouvelle guerre des Affaires », cette fois-ci fondée avant tout sur les malversations qui auraient permis à la gauche de prendre le pas.
Avec toujours sous jacente, la volonté de rendre la gauche coupable. La gauche se battait sur le terrain des programmes, la droite sur celui de la dénonciation des crapulerie. Désormais, pendant trente ans, la vie politique française ne sera qu’une succession d’affaires, chaque camp rendant coup pour coup.
D’abord Urba, puis Michel Noir, Carignon. Gaudino, les affaires Voiry, de la Tour BP, Mery, etc. Les services de renseignement, et plus particulièrement les RG, étant de plus en plus présents.
Désormais la politique s’est plus ou moins résumée à l’exploitation des affaires. La droite se révélant beaucoup plus compétente dans ce domaine. Parce qu’elle est beaucoup mieux implantée dans les services de renseignement largement mis à contribution. Parce que aussi les conservateurs dominent très largement le monde médiatique.
Entre Urba et Clearstream en passant par l’affaire Elf et autres, il n’y a jamais eu de trêve dans cette utilisation politique des affaires, toutes enchaînées les unes au autres.
Je voudrais attirer l’attention sur un dernier point.
A ce jour, Clearstream est peut-être la « dernière des affaires » à peser dans la vie politique. Parce que pour le moment, les deux adversaires sont des conservateurs. Or Nicolas Sarkozy a affiché son intention délibérée d’éviter d’utiliser l’instrument des affaires.
Il le peut puisque l’UMP, son parti, domine totalement la vie politique. Il n’a pas à se battre pour s’imposer contre un adversaire de gauche qui, pour le moment, s’est complètement délégitimé par son impuissance.
Reste à savoir quelles seraient les attitudes de l’UMP et du Président Sarkozy face à une gauche requinquée. Ne risque-t-on pas de retomber dans les ornières du passé ?