Vidéo surveillance : efficace, c’est à voir !

Il y a plusieurs mois j’ai réussi à piraté l’adresse steffi_stahl@hotmail.com qui se trouvait être dans le listing de Constantin Film comme vous le savez. Je n’avais aucune raison particulière de choisir cette victime, sinon que c’était un paris prometteur. J’ai ensuite utilisé cette adresse en écrivant entre les lignes qu’Emma Watson avait signé pour l’adaptation de Cinquante Nuances de Grey, en prenant soin de bien dissimuler l’information dans un email de courtoisie. Je n’avais aucun moyen de savoir si Constantin Film allait être victime d’une future attaque informatique. Lorsque Anonymous Germany les a piraté, ceux-ci ont d’abord publié le listing de Constantin Film. Il était essentiel d’en faire partit, puisque cela permettait qu’Anonymous prenne au sérieux l’information que j’avais glissé dans la quantité de courriers récupérés durant l’attaque informatique et qu’ils ont « découvert » la semaine suivante.

Laurent Opsomer nous propose une importante contribution à la question de la vidéo surveillance. Ses conclusions sont pour le moins étonnante.

Malgré mes recommandations, le texte de Laurent est encore un peu long. Alors, patience… Malgré deux micoupes

Tu me surveilles, il me surveille, vous me surveillez, ils me surveillent…

Pierre Morel-A-L’Huissier, député UMP de Lozère, a récemment demandé au ministère de l’Intérieur « de bien vouloir lui communiquer le taux d’élucidation des crimes et délits commis sur la voie publique dans les villes vidéo-protégées » (question n°45768 du 31 mars 2009). Question opportune pour le gouvernement mais étrange pour ce parlementaire puisque pas une commune de son territoire ne compte un service de police municipale, ni ne gère de dispositif de vidéosurveillance…

La réponse ministérielle datée du 25 août est, néanmoins, intéressante avec cette fracassante déclaration d’entrée : « Il n’est pas effectué de corrélation nationale entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et leur impact sur les crimes et délits commis sur la voie publique, ainsi que les taux d’élucidation. » Finalement, seule cette phrase d’introduction compte, le reste n’étant que pure propagande puisque les exemples pris en compte ne sont nullement représentatifs puisque minoritaires à l’extrême (à moins de procéder à un raisonnement par récurrence). D’ailleurs, la réponse ministérielle ne dit pas autre chose : « Pour pouvoir se livrer à un tel rapprochement, il faut que la commune ait mis en place un dispositif adapté et significatif par rapport à son territoire, à sa population et aux menaces en termes de sécurité publique. Il faut également que la vidéoprotection soit opérationnelle depuis un temps suffisant pour que les comparaisons puissent être considérées comme pertinentes. » En sus, s’il est erroné de parler de vidéoprotection en lieu et place de vidéosurveillance, cette démarche sémantique révèle l’intense politique de communication gouvernementale à ce propos. Un doute ? Voici la preuve :

LA VIDEOSURVEILLANCE, UN VRAI FAUX AMI

Une petite révolution, la vidéosurveillance ? Beaucoup le disent. Liberticide pour les uns, facteur de progrès pour les autres, elle est surtout et avant tout un outil de technique policière. Mal maîtrisée et mal utilisée, elle est en fait totalement inutile. La SNCF déploie 3 000 caméras, la RATP près de 6 000. Pour des raisons assez évidentes, il est relativement difficile de surveiller autant de capteurs en temps réel. C’est donc avec un léger décalage que la vidéosurveillance va travailler, peut-être, pour la police. En ayant connaissance d’un délit, les policiers vont pouvoir tenter de récupérer les images tournées dans le périmètre d’un délit. Pour autant – et c’est une condition préalable – que les lieux comportent des caméras, et en état de marche. Très souvent, la caméra ne filme pas le délit lui-même, mais la fuite (ou l’arrivée) du ou des auteurs, qu’il faut ensuite identifier comme tels dans un flux éventuel de passagers, avant d’exploiter les éléments d’identification (taille, type de vêtements, gestuelle, etc.). […]

Source : Police Pro n°8, mars-avril 2008, page 42.

Toujours un doute ? Laissons alors parler les spécialistes :

D’abord, l’éditorial de « La Lettre d’information des professionnels de la sécurité, police » du 26 juillet 2008, réalisé par Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS et enseignant (1).

Celui-ci précise, entre autre, que « Parler de vidéoprotection constitue une erreur: cela revient à confondre les objectifs (protéger) et les moyens (capture d’images à distance et transmission à un PC ou exploitation a posteriori). Le titre cherche à légitimer une technologie en la rebaptisant: protection est connoté positivement et surveillance… négativement. Or, la technique permet bien de surveiller. Permet-elle de protéger ? ». Il précise en outre que « s’il n’y a pas d’études sur l’efficacité de la vidéo en France, c’est parce que les pouvoirs publics dont l’Inhes (Institut national des hautes études de sécurité) n’ont pas souhaité en financer ». En résumé, circulez ! Il n’y a rien à voir !

 

Autre spécialiste de la question : Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS et directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), Dans un article intitulé « Sécurité : le mirage technologique » et publié dans « Libération » le samedi 15 octobre 2005, celui-ci déclare avec pertinence : « On ne peut pas dire que les techniques modernes sont inutiles. Quand on sait ce que l’on cherche, ça peut aider beaucoup. Mais si on ne sait pas ce que l’on cherche, on est automatiquement noyé dans des millions d’informations dont on ne sait que faire. La technique n’est qu’un soutien logistique à un travail de renseignement alors qu’elle est présentée aujourd’hui comme la solution miracle qui produit elle-même le renseignement. C’est là qu’est l’erreur fondamentale, le mirage de «l’enchantement technologique». Imaginez un service de police qui recevrait chaque jour des dizaines de milliers de noms de voyageurs de tous les aéroports et les gares de France et un journal de connexion avec les millions de mails échangés dans les cybercafés, comment va-t-il pouvoir les traiter ? Il faudrait des centaines de policiers spécialisés qui, la plupart du temps, ne trouveraient absolument rien d’intéressant. Sans parler du risque d’atteintes à la vie privée. De la même manière, si on met des caméras à tous les coins de centre-ville, il faudra embaucher des milliers de gens pour regarder les images collectées. Tous ces éléments techniques ne sont ni préventifs, ni dissuasifs lorsqu’ils sont dirigés vers l’espace public en général. Les techniques ne peuvent qu’appuyer les enquêtes pour trouver quelque chose après coup, si on dispose déjà de pistes. Si on ne sait pas ce que l’on cherche, la technique ne peut rien, elle est aveugle. C’est l’homme qui a des yeux et un cerveau, ce n’est pas la machine. »

 

Ensuite, ce témoignage de Frédéric Ocqueteau, directeur de recherches au CNRS, sociologue au CERSA (Centre d’études et de recherches de science administrative), membre de l’Observatoire national de la délinquance (INHES – Ministère de l’Intérieur). Il s’est exprimé à ce sujet sur le site de « Bakchich » le jeudi 26 mars 2009 (2), affirmant notamment : « J’ai, pour ma part, plutôt tendance à penser que l’efficacité d’un dispositif de vidéosurveillance à composante sécuritaire devrait plutôt se mesurer à une augmentation du nombre de suspects surpris en flagrant délit par les agents municipaux plutôt qu’à leur diminution, lié à un prétendu effet d’inhibition constaté parmi la population « vouée à passer à l’acte ». Les quelques études sérieuses disponibles à ce sujet montrent en effet qu’avec une bonne campagne de pub locale, un impact inhibiteur peut être mesuré, mais elles montrent aussi qu’il n’est toujours que temporaire s’il n’est pas pérennisé par un couplage à d’autres mesures de prise en charge préventive n’ayant rien à voir avec les caméras. » Quant à la volonté gouvernementale de multiplier les caméras de vidéosurveillance, il réagit en ces termes : « L’Etat s’attribuerait un mérite ressortant du seul effort d’équipement des collectivités territoriales, en faisant croire que les élucidations des affaires augmenteraient. C’est peut-être un ressenti local, mais il faut également convenir qu’un maire a toujours besoin de rassurer sa population et de « communiquer » de la même façon qu’on le fait au niveau national. Il faut toujours prouver que l’insécurité dans la rue recule, et qu’on aura donc toujours eu raison de demander au public un effort fiscal plus conséquent pour investir dans de nouveaux dispositifs de surveillance. Pour l’instant, la stratégie est gagnante sur les deux plans. Et l’Etat peut multiplier par dix ou par cent le quota des caméras utiles, cela ne lui coûte rien en termes de budget national. »

Mêmes évidences de la part d’Eric Heilmann, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. La revue Claris a publié un extrait de son dernier ouvrage « La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social » paru aux éditions La Découverte (Claris n°4 de mars 2008). Il remarque d’emblée qu’« Avec l’installation durable de la droite au pouvoir, et après les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme fait une entrée en force dans la rhétorique sécuritaire officielle et la vidéosurveillance est rapidement assimilée à une « machine à tout faire » : prévenir les risques d’attentats et les désordres urbains, dissuader toute présence indésirable, identifier les terroristes et les délinquants, superviser l’action des agents de l’ordre sur le terrain, rassurer les populations, etc. » (3)

Reprenant les arguments officiels en faveur du développement de la vidéosurveillance dans notre pays, il s’interroge avec raison : « La France a-t-elle pris du retard ? Si l’on s’en tient aux systèmes déclarés en préfecture dans le cadre de la loi de 1995, c’est-à-dire aux dispositifs installés sur la voie publique et dans des « lieux privés ouverts au public » (commerces, enceintes sportives, etc.), on pourrait presque se laisser convaincre. De 1997 jusqu’à fin 2006, les préfectures ont accordé près de 78 000 autorisations pour l’installation de systèmes de vidéosurveillance – ce qui représente plus de 340 000 caméras. Mais si l’on porte attention à la réalité des installations, que le ministère feint d’ignorer, les chiffres donnent plutôt le vertige : 400 000 systèmes de vidéosurveillance sont installés aujourd’hui en France, soit 2 à 3 millions de caméras. En effet, les autorisations préfectorales ne concernent qu’une partie des systèmes, l’autre étant constituée par les équipements installés dans les entreprises, établissements scolaires, lieux d’habitation individuelle ou collective… qui n’entrent pas dans le champ d’application de la loi et ne sont donc pas recensés par l’administration. […] Ainsi, au regard du nombre de dispositifs déjà en place, l’argument d’un déficit de caméras pour justifier de nouveaux investissements paraît fallacieux. Sauf à considérer le but avoué du ministère : convaincre les agences privées de sécurité et les municipalités d’étendre et/ou de moderniser leurs dispositifs techniques afin d’accroître l’efficacité de la police nationale confrontée à de très médiocres performances dans ses missions de prévention de l’insécurité urbaine. »

Il poursuit son questionnement : « Protéger les Français contre le risque terroriste ? Là encore, on pourrait se laisser convaincre par l’argument si la vidéosurveillance avait déjà apporté la preuve de son efficacité. Les attentats répétés contre des bâtiments publics (gendarmerie, perception, etc.) en Corse, pourtant équipés de caméras de surveillance, semblent plutôt indiquer le contraire. […] Or, tous les auteurs s’accordent à souligner qu’il ne suffit pas de greffer des caméras dans les espaces urbains pour prévenir la délinquance. Pour quelles raisons ? Elles sont multiples mais on en retiendra surtout deux ici.

D’abord, parce que bon nombre de comportements sont imprévisibles. C’est le cas, par exemple, des comportements de nature impulsive (personnes violentes ou agressives). La présence de caméras n’a jamais dissuadé des jeunes gens ivres de se battre à la sortie d’un bar alors que leur « honneur » est en jeu. D’autres comportements sont indétectables par un opérateur vidéo placé devant un mur d’écrans. C’est le cas notamment de l’action planifiée de délinquants « professionnels » (comme les pickpockets) qui ont pris en compte depuis fort longtemps l’existence de dispositifs d’alarme et/ou de détection.

Ensuite, pour user d’une métaphore technicienne, il faut admettre que les propriétés intrinsèques de la vidéosurveillance sont fort éloignées de celles d’un missile balistique autoguidé. A vrai dire, on pourrait plutôt ranger la vidéosurveillance dans la catégorie des machines à laver : plusieurs programmes sont disponibles mais son propriétaire ne peut lancer qu’un seul programme à la fois. En effet, si la vidéosurveillance peut soutenir plusieurs types d’activités (prévention de certains comportements, aide au déploiement des patrouilles sur le terrain, assistance pour la constitution de preuve, traitement du sentiment d’insécurité de la population, etc.), il est inconcevable qu’un même système puisse servir durablement tous ces objectifs en même temps, avec la même intensité et avec les mêmes opérateurs placés aux commandes. »

 

Alors efficace la vidéosurveillance ?  je m’interroge : qui surveille les surveillants ?

(1) http://www.metier-securite.fr/TPL_CODE/TPL_NWL_ART_FICHE/PAR_TPL_IDENTIFIANT/19171/121-lettre-surete-police.htm

(2) http://www.bakchich.info/La-videosurveillance-nouveau,07166.html

(3) http://90plan.ovh.net/~groupecl/IMG/pdf/Claris._La_revue_n4.pdf

Étiquettes : ,

10 Réponses to “Vidéo surveillance : efficace, c’est à voir !”

  1. Tita Says:

    Bonjour,

    Cela me rappelle un article de Rue89 : http://www.rue89.com/2009/04/20/la-videosurveillance-ca-coute-cher-et-rien-ne-dit-que-ca-marche où Chloé Leprince y précise que non seulement rien ne prouve que la vidéo-surveillance fonctionne, mais qu’en plus, ça coute la peau des fesses :

    « Outre les frais d’installation (de l’ordre de 500 000 euros pour 48 caméras depuis quinze ans), c’est surtout les frais de fonctionnement qui grèvent les finances. D’abord parce qu’un tel dispositif est coûteux en main d’oeuvre : on estime qu’il faut un policier municipal pour surveiller dix caméras. Mais aussi parce que l’entretien lui-même a un coût prohibitif,[…] »

    Ainsi, notre bon Nicolas et son gouvernement utilise la même approche que ce vieux Jean-Marie : proposer des solutions qui paraissent logiques, mais qui, dans la réalité des faits, montrent l’étendue démagogique (au mieux) ou d’inculture (au pire) de ceux qui nous font ces propositions.

    En attendant, les entreprises de vidéo-surveillance sont contentes…

  2. phmadelin Says:

    Exact. Et bon retour sur le web, et en France

  3. Opsomer Says:

    Hortefeux et les inspections se trompent sur l’efficacité de la vidéosurveillance
    http://www.metier-securite.fr/TPL_CODE/TPL_NWL_ART_FICHE/PAR_TPL_IDENTIFIANT/34596/121-lettre-surete-police.htm
    Mais cela n’empêche nullement le ministre de l’Intérieur de persévérer dans l’erreur en affirmant sa volonté de tripler le nombre de caméras – dont le côut reposera en réalité sur les collectivités locales…

  4. CHRISTINA BIANCA TRONCIA Says:

    Réveillez-vous !!! Il existe (certains à ma connaissance depuis 30 ans au moins !) des caméras de surveillance…invisibles à l’oeil du commun des mortels dans la plupart des « édifices » administratifs et syndicaux (je ne citerai pas lesquels) qui permettent de visualiser très loin dans les rues avoisinants les lieux, et ce, sans que qui que ce soit promenant dans la rue ou s’arrêtant près des accès de ces dits édifices, ne s’en rende compte ! Quelle hypocrisie !!! Des caméras de surveillance dans les rues, histoire de « rassurer » le bon concitoyen qui n’a rien à se reprocher, histoire de « rassurer » le monsieur/madame tout le monde !!! On croit rêver !!! Si de nos jours, on peut détecter la moindre de vos conversations sur vos portables, vous imaginez bien que l’on sait épier également vos moindres faits et gestes et ce, à votre insu !!!

  5. Opsomer Says:

    Leur existence n’est pas synonyme d’efficience, encore moins d’efficacité.

  6. Opsomer Says:

    Autre lien intéressant à ce propos :
    http://www.politis.fr/article8068.html

  7. Opsomer Says:

    Un dossier très complet à ce propos sur le site de la LDH de Toulon :
    http://www.ldh-toulon.net/spip.php?rubrique46

  8. Opsomer Says:

    Avis d’un spécialiste :

    Vidéosurveillance : un rapport qui ne prouve rien

    Cliquer pour accéder à Videosurveillance.pdf

  9. Opsomer Says:

    Vidéosurveillance : premier bilan dans cinq communes
    http://www.leprogres.fr/fr/permalien/article/394255/Videosurveillance-premier-bilan-dans-cinq-communes.html
    « À l’heure où le gouvernement veut accélérer l’installation de systèmes de vidéosurveillance dans les villes, certaines communes du département tirent un premier bilan de leur expérience à ce niveau. Pas toujours positif… »

  10. serrurier Says:

    Quel bonheur votre blog, on ne trouve que des articles intéressants.
    J’adore passer sur votre site Internet pour me changer l’esprit.
    D’ou vous optenez votre inspiration, car entretenir un ce site Web c’est enormement de boulot.

Laisser un commentaire