Clearstream : la thèse de l’escroquerie au renseignement

Demain la 11° chambre correctionnelle du TGI présidée par Dominique  Pauthe rendra son jugement dans l’affaire Clearstream.

A 10 h 30, Dominique de Villepin, Jean-Louis-Gergorin et Imad Lahoud seront fixés sur leur devenir dans cette première manche du procès Clearstream. Dix-huit mois de prison avec sursis pour le premier et dix-huit ferme pour les deux autres ont été réclamés par le procureur de Paris, Jean-Claude Marin.

On doit désormais considérer cette affaire comme une machinerie à deux étages : l’étage politique, qui est censé opposer de front Mon Président Sarkozy et son prédécesseur Place Beauvau et ancien Premier ministre, Dominique de Villepin. Et ce qui est sans doute la véritable affaire, l’étage socle qui n’est en vérité qu’une escroquerie au renseignement pure et simple.

Enjeu pour l’étage politique : condamnation pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de Villepin, qui le priverait de ses droits civiques, et l’empêcherait en conséquence de se présenter à la moindre élection, présidentielle ou pas. Sarkozy n’a cessé d’accuser Villepin d’avoir tout manipulé pour le descendre en flammes. D’où sa constitution de partie civile, sur la base de preuves poour le moins légères et même fantaisistes. Ce qui n’a pas empêché Sarkozy de considérer Villepin comme « le coupable » bien avant l’heure de verdict.

Depuis le 23 octobre dernier, les trois juges se sont réunis à plusieurs reprises pour se mettre d’accord sur les grandes lignes puis le président Pauthe s’est attelé à l’écriture des attendus…

La relaxe est réclamée par les avocats de Dominique de Villepin et de Jean-Louis Gergorin. Ils soutiennent que le tribunal ne dispose d’aucune preuve décisive que leurs clients ont su et compris que les listings Clearstream étaient de pures affabulations. S’ils retiennent cette thèse, les magistrats jugeront que Gergorin était de bonne foi quand Imad Lahoud lui a confié les listes prétendument issues d’une pénétration informatique de Clearstream. Toujours de bonne foi, Gergorin aurait évoqué la questions avec le général Rondot en novembre 2003, puis à Villepin en janvier 2004, puis au juge Renaud Van Ruymbeke en avril 2004. Dans ce scénario, Imad Lahoud, « escroc au renseignement d’élite », aurait berné tout le monde dans le but, à sa sortie de prison pour une autre affaire d’escroquerie, de se venger de la société qui l’a condamnée. Si les juges relaxent Villepin (et Gergorin), Imad Lahoud risque de passer pour l’auteur unique de la dénonciation calomnieuse. Et d’être l’auteur de l’escroquerie-chantage.

C’est à ma connaissance la thèse désormais soutenue par Gergorin, qui admet avoir été berné de long en large.

 » Il faut comprendre mon état d’esprit m’a-t-il confié, lors de la mort de Jean-Luc Lagardère. Il était légitime de se poser des questions sur cette mort subite. Aucune hypothèse n’était exclue »

Quand Imad Lahoud est arrivé avec sa liste extraordinaire de bénéficiaires supposés de pots de vin, c’était une sorte d’aubaine, cette liste semblait donner la clé pour ouvrir une porte hermétiquement close. Lagardère aurait été victime de mafieux russes désireux de prendre le contrôle d’EADS, dont les noms figurent en toutes lettres dans le listing Clearstream. Quand l »information a semblé corroborée par le général Rondot, qui avait pris Lahoud sous son aile, croyant ainsi accéder à Ben Laden, les plus malins étaient prêts à croire tout. Dans ces conditions, quand Dominique de Villepin a été lui-même informé, il ne s’est pas posé plus de questions. Sa grande erreur a été de ne pas lancer une enquête spécifique confiée à la DST, dont c’est vraiment le job, au lieu de confier à Rondot des recherches qui se sont révélées fantaisistes. D’autant plus que la DST était déjà elle-même au courant de la manip.

On résume : sur la base d’informations  transmises par le journaliste Denis Robert, par la suite trafiquée, Lahoud utilise Gergorin comme vecteur pour atteindre et actionner Dominique de Villepin.

On aurait dû des souvenir que le propre père d’Imad Lahoud était au Liban un officier de renseignement, et que le mathématicien est le filleul du général Johnny Abdo qui a dirigé les services de renseignement au Liban. Le jeune homme a donc été élevé dans ce climat très particulier où le renseignement n’est pas utilisé comme tel, mais comme une arme de manipulation majeure. Toute l’escroquerie repose sur cette mécanique. Une mécanique en vérité assez grossière. Mais ce genre de manipulateur dont relève Lahoud a la formidable capacité de vendre père et mère, de gagner ainsi une fortune, sans mettre le moins du monde père et mère en péril. Et plus c’est gros, mieux ça passe.

L’énormité a été de donner à croire que Lahoud était capable réellement d’atteindre et de neutraliser Ben Laden. Rondot et Gergorin sont tous deux tombés à pieds joints dans le piège. Et derrière eux Dominique de Villepin. Qui a trouvé là une aubaine miraculeuse pour tuer Sarkozy. Selon ce schéma, Villepin n’a pas été un instigateur, mais un simple « profiteur ». D’autant plus enclin à croire ces espions et intermédiaires qu’il adorait les « petits papiers », les informations confidentielles.

J’ai moi-même toujours soutenu cette thèse. Après avoir longtemps hésité, Jean-Louis Gergorin s’est rallié à ce schéma.

Un schéma qui, évidemment, n’arrange pas l’affaire politique de Nicolas Sarkozy. lequel, aujourd’hui, se montre désormais très circonspect. Non sans avoir viré Patrick Ouart, son « conseiller justice » qui avec l’avocat Thierry Herzog l’a poussé sans répit dans la voie politique. Je comprends moins l’attitude du procureur Jean-Louis Marin, lui même réputé pour sa grande prudence et son puissant raisonnement juridique : la perspective de carrière suffit-elle pour être aussi peu regardant sur le fond de cette affaire ? Je n’ose trop y croire. Il est possible que Marin n’ait pas eu le choix.

Dernier point, secondaire : pourquoi pendant longtemps l’ensemble des journalistes « investigateurs » se sont-ils crus obligés de faire croire que Jean-Louis Gergorin était fou, la preuve en étant qu’il avait été interné en hôpital psychiatrique. Ce que l’intéressé dément absolument, même s’il reconnaît avoir du passer trois semaines dans une maisons de repos après la mort de Jean-Luc Lagardère. Il impute cette rumeur au préfet Philippe Massoni, conseiller de Jacques Chirac en matière de renseignement, et à Yves Bertrand, l’ancien patron des Renseignements généraux. qui a lui-même rejeté cette accusation ! Aujourd’hui, les journalistes ont « oublié » cette rumeur qui a bien arrangé en son temps le camp de ses contempteurs.

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