Journalistes : liberté sous surveillance

Adoption définitive de la loi sur la protection des sources des journalistes. Mais la liberté accordée est tout à fait sous surveillance, et l’objet de limitations inquiétantes.

Le projet de loi dormait dans les tiroirs depuis un an. Il a été adopté lundi 21 décembre par le Parlement après un ultime vote de l’Assemblée nationale.
L’UMP et le Nouveau centre ont voté pour et le PS contre. Les Verts et le PCF étaient absents du débat. Depuis le vote des députés au printemps 2008, le Sénat avait adopté le texte en novembre de la même année mais en y apportant des modifications.

Selon la version sénatoriale, entérinée par l’Assemblée, « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ». Restriction d’importance : sauf  » si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Cette protection est par ailleurs « explicitement » étendue à l’ensemble de la chaîne de l’information et les dérogations à ce secret permises par le texte complétées.
Pour qu’il y ait atteinte à la protection des sources, il doit également être tenu compte, dans le cadre d’une procédure pénale, « de la gravité du crime ou du délit » et « de l’importance de l’information recherchée ».

La navette parlementaire a permis la précision du texte afin de répondre aux inquiétudes des syndicats de journalistes et des critiques de l’opposition. Cette « loi est un progrès et une déception », a commenté le groupe SRC (PS, PRG) « Progrès parce que le droit à la confidentialité sur l’origine des informations est une garantie de l’indépendance des journalistes ». Mais « déception parce que le gouvernement et sa majorité ont mis cette liberté sous surveillance en y apportant de trop nombreuses exceptions qui réduisent considérablement sa portée« .

3 Réponses to “Journalistes : liberté sous surveillance”

  1. Opsomer Says:

    Un autre point de vue :

    « Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources »
    http://moreas.blog.lemonde.fr/2009/12/22/%c2%ab-un-journaliste-digne-de-ce-nom-ne-donne-pas-ses-sources-%c2%bb/

  2. phmadelin Says:

    Ce n’est pas incompatible. La loi est censée protéger le journaliste contre les poursuites !

  3. Opsomer Says:

    L’Etat reprend toujours d’une main ce qu’il a accordé de l’autre. Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure est la parfaite illustration de cette ambivalence, pour ne pas dire de cette hypocrisie étatique. L’article 20 dudit projet crée, en effet, un régime de protection des agents de renseignement, de leurs sources et de leurs collaborateurs lorsque ceux-ci sont concernés par des procédures judiciaires. L’exposé des motifs est d’ailleurs édifiant puisqu’il justifie cette mesure en ces termes : «Après la protection des documents, des lieux et des renseignements, il s’agit de protéger la personne même de l’agent de renseignement ainsi que ses sources et ses collaborateurs.» Les protéger, soit ! Mais les protéger de qui, de quoi ? De la justice ? De la presse ? En outre, en protégeant ainsi les agents de renseignement ne cherche-t-on pas à protéger opportunément par la même occasion leurs commanditaires, donc leur hiérarchie ?

    Le projet de loi prévoit d’ajouter au titre III du livre IV du Code pénal un chapitre 1er bis intitulé «Des atteintes aux services spécialisés de renseignement» auquel est greffé un article 431-21-1 ainsi rédigé :

    «Art. 431-21-1. – La révélation, en connaissance de cause, de toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à la découverte de l’usage d’une identité d’emprunt ou d’une fausse qualité, de l’identité réelle des agents des services spécialisés de renseignement ou de leur appartenance à l’un de ces services est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. […]
    La révélation commise, par imprudence ou par négligence, par une personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ou permanente, de l’information mentionnée au premier alinéa, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
    Les dispositions du présent paragraphe sont applicables à la révélation de la qualité de la source ou de collaborateur occasionnel d’un service spécialisé de renseignement.»

    La création de ces nouvelles incriminations qui sanctionnent la révélation de l’identité des agents de renseignement, de leurs sources et de leurs collaborateurs est, à n’en pas douter, une sérieuse mise en garde aux journalistes d’investigation ! Dès lors, une interrogation s’impose : avec de telles mesures, quelles suites seront dorénavant données à des affaires sensibles comme celle des frégates de Taiwan, discrètement enterrée avec le temps, ou celle d’actualité à propos de l’attentat de Karachi, qui a tué onze ingénieurs français en 2002 et met aujourd’hui en cause des sommités de l’Etat (1) ?

    (1) L’enquête s’oriente désormais vers la piste d’un contentieux franco-pakistanais lié à la vente en 1994 de sous-marins et doublé de commissions occultes reversées à des hommes politiques à Paris (les fonds des rétro-commissions en France auraient servi, selon les dires de l’avocat des familles des victimes, relayées dans la presse, à financer la campagne présidentielle en 1995 de l’ex-premier ministre français Edouard Balladur).
    http://www.ledevoir.com/international/255905/attentat-de-karachi-sarkozy-rejette-la-piste-de-la-corruption

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