Woippy : une ville difficile

Alors qu’une polémique s’amorce à propos de l’intervention des policiers municipaux de Woippy, Laurent Opsomer resitue cette petite ville dans son contexte politique

Woippy : poudrière ou ghetto ? Agglomération d’environ 14.000 habitants, Woippy est située à la bordure nord de Metz. C’est  une banlieue populaire en pleine rénovation urbaine (80 % de logements sociaux, record de Lorraine ) où 25 % de la population a moins de 20 ans. Une cité ouvrière frappée par un taux de chômage massif (23,1 % !), la misère, comme en témoigne le revenu par ménage : 11 465 €/an, soit juste au-dessus du seuil de pauvreté fixé à 910 euros par mois, et une hémorragie démographique (variation annuelle de population : – 0,4 % par an). Pis, Woippy n’est épargnée ni par les restructurations militaires, ni par les délocalisations industrielles, ni par la crise économique. En résumé, Woippy est un concentré explosif !

Conquise par l’UMP lors des élections municipales de 2001, le maire François Grosdidier lance sa ville dans une politique sécuritaire, la première décision de la nouvelle municipalité est de « tripler les effectifs, pour passer de 7 à 22 agents de police municipale » et installation de la vidéosurveillance.

Le 20 septembre 2004, la municipalité inaugure une « maison des polices » réunissant sous le même toit une quinzaine de fonctionnaires de la police nationale et vingt-deux agents municipaux (bonjour la confusion dans le mélange des casquettes !) ; la ville a engagé pas moins de 1,8 millions d’euros dans ce projet visant à «reconquérir une zone de non-droit », selon les mots de François Grosdidier (Le Point, 3 juin 2004). Situé au cœur du quartier Saint-Eloi, une zone urbaine sensible (ZUS) de Woippy, cet hôtel de police mixte, le premier du genre en France, comprend des locaux séparés et un certain nombre de commodités communes (salle d’entraînement, vestiaires, armurerie…), et abrite la salle des commandes du dispositif de vidéosurveillance. Plus de 2 millions d’euros ont été engagés pour sa construction, financés à 80 % par la ville, à qui l’Etat verse en retour un loyer modeste. Si elles cohabitent dans la même « maison », les deux polices disposent chacune d’une aile distincte avec entrée, armurerie, vestiaires et parcs de véhicules spécifiques

Cette politique sécuritaire a un coût : Woippy consacre 8 % de son budget à la lutte contre l’insécurité, soit 1 million d’euros pour une population de 14 000 habitants… ce qui amène l’opposition à dénoncer la gestion municipale : « La ville qui est endettée comme jamais aura un mal fou à honorer sa signature et ceci au détriment du plus grand nombre » (Woippy Magazine n°57 – été 2007).

C’est dans ce contexte qu’est survenu l’accident mortel dans la nuit du 19 au 20 janvier. Aussitôt le drame connu, François Grosdidier annonce que ses «policiers ont respecté les consignes qui leur avaient été données pour ce type d’intervention ». Selon lui, ceux-ci «ont mis en marche leur gyrophare mais n’ont pas pris de risques inconsidérés en tentant d’interpeller» ces jeunes d’une vingtaine d’années circulant sans casque sur un scooter sans éclairage. Mieux, « Il n’y a pas eu de choc entre le scooter et la voiture de police », affirme le procureur de la République, Rémi Heitz, au vu des premiers constats de police. Mais cette annonce n’a nullement calmé les esprits. Malgré le déploiement de CRS et de gendarmes mobiles, au moins 150 hommes, des incidents ont éclaté dans le quartier du Roi, classé «zone urbaine sensible»

Selon France-Info, des jeunes du quartier du Roi estiment que les policiers municipaux avaient reconnu les trois jeunes chevauchant le scooter et auraient donc pu les interpeller plus tard, quand cela n’aurait présenté aucun danger (Le Parisien avec AFP, 20 janvier 2010). «Ridicule», rétorque le maire dans une lettre ouverte adressée à ses concitoyens (cf. site de la mairie de Woippy), qui réfute cette thèse en ces termes : « les policiers ne pouvaient pas identifier les jeunes sur le scooter et un délit routier doit être constaté immédiatement. Si les policiers n’avaient pas agi et qu’un accident était survenu après, leur culpabilité ( sic) aurait été recherchée. ». Il martèle que «Le drame de la nuit du 19 au 20 est celui d’un accident de circulation causé par l’imprudence et non pas par l’action de la police municipale. […] Il n’y a pas de course-poursuite mais suivi du véhicule […]. Jamais il n’y a eu de prise de risques, jamais il n’y a eu de collision ! »

En dépit des dénégations du député-maire, il y a soupçon car il y a eu des précédents. Le Maire de Woippy a tout intérêt à ce que la justice confirme ses assertions surtout pour éviter la mise en cause de la responsabilité de sa commune. La jurisprudence en la matière ne laisse, en effet, planer aucun doute : si la course poursuite est avérée, la responsabilité pénale des agents concernés sera clairement engagée pour mise en danger de la vie d’autrui* et la commune devra assumer les coûts de leur défense dans le cadre de la protection fonctionnelle.

réélu à la tête de la commune au premier tour en 2008, face à quatre listes concurrentes, François Grosdidier est également député UMP de la Moselle depuis 2002. Il est aussi membre de la commission consultative des polices municipales (arrêté du 18 février 2002) et préside la fédération départementale des maires de la Moselle, qui regroupe plus de 600 maires et qui appartient à l’Association des Maires de France. Enfin, il est l’auteur d’un ouvrage intitulé «Tuons-nous les uns les autres !», préfacé par Jean-Marie Pelt et publié aux éditions du Rocher.

³ Ce bâtiment d’acier de 640 m², protégé par de hautes clôtures et érigé au cœur d’un quartier comprenant 75 % de logements sociaux, abrite à la fois les services de la police municipale et les locaux d’une unité de police de proximité de la circonscription de Metz. . (Le Monde, 21 septembre 2004)

* Jurisprudence de la Cour de cassation chambre criminelle en date du mardi 23 mars 2004 (N° de pourvoi : 03-82852). Dans ses conclusions, celle-ci justifie la décision de la Cour d’appel d’Orléans, chambre correctionnelle, en date du 1er avril 2003, « qui, après avoir écarté l’application de l’article 122-4 du Code pénal, déclare coupable d’homicide involontaire un gendarme qui, en adaptant sa conduite automobile à celle particulièrement dangereuse de la conductrice poursuivie, a pris un risque disproportionné à l’obligation de mettre fin aux infractions constatées ».

affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007071058&fastReqId=381706397&fastPos=1

Une Réponse to “Woippy : une ville difficile”

  1. Opsomer Says:

    Lien vers la jurisprudence citée :
    http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007071058&fastReqId=381706397&fastPos=1

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